« smoking à la cafétéria »


Le projet initial «Hôtel», devait fonctionner de façon autonome : des gens se rencontraient et se racontaient des histoires. J’ai gardé ici l’idée d’un événement dans les lieux mêmes et la notion de récits au pluriel entre des gens qui viennent sur place. Un lieu, des rencontres, des récits : c’est le lien naturel entre les deux étapes du projet. Les personnes ont peu l’occasion de se rencontrer en dehors de situations formatées à l’avance : c’était à moi de leur adresser une demande qui concerne un espace idéal. C’est la suite d’un travail engagé sur un rapport à l’espace, l’architecture et le lieu d’exposition. Dans ce projet, l’endroit au sens architectural est moins moteur, générateur : cela se déplace vers une aventure avec des personnes que je ne connais pas, qui vont faire naître, produire cet espace par le fait qu’ils répondent à une demande. La multiplicité des réponses créerait une sorte de super espace idéal. Il fallait trouver un lieu, une mise en forme.
La cafétéria : lieu de rencontre et espace ingrat comme lieu d’exposition. Utiliser, transformer un lieu non idéal, c’est un bon défi artistique : l’oeuvre devient espace de rencontres non séparé du vécu et de l’imaginaire quotidiens des gens. La cafétéria est ce lieu de mise en forme qui déplace la notion de site : la spécificité d’un lieu tient aux gens qui le fréquentent, l’utilisent. Ici, je m’éloigne des dimensions physiques, architecturales, temporelles du lieu pour les lier de façon immédiate avec les gens qui le font exister. Transformer ce lieu avec les gens en donnant la possibilité à leur imaginaire d’être présent avec d’autres.
Étapes concrètes de réalisation : visiter, photographier, formuler le projet «Hôtel». Après refus, se reporter sur un échange entre le lieu et une mise en forme d’un dessin géant à partir d’un dessin de 12 x 10 cm, scanné en haute définition. Une entreprise a tiré l’agrandissement numérique sur un support de 10 mètres par 4 mètres. Le mode de mise en oeuvre ? Envoyer à chaque usager une lettre; réaliser un tirage aléatoire par quatre jets de dés permet de déterminer l’emplacement de chaque réponse. Enfin, pour accrocher, naviguer sur l’échafaudage, élément fonctionnel, réel qui compose avec le dessin, le chantier, l’outil et l’image. Le titre smoking ? En manipulant le dessin issu du dictionnaire Larousse pour en effectuer un montage numérique, j’ai pensé aux vignettes du film smoking de Resnais. Le dessin articule des séquences mobiles ouvertes. Enfin, un petit clin d’oeil à l’interdiction/autorisation de fumer dans la cafétéria.
La lettre d’invitation : «Je souhaiterais construire avec vous un espace idéal. Dans ce but, accepteriez-vous de m’envoyer une photographie, un dessin ou la description d’un lieu qui vous tient particulièrement à coeur ? Ce lieu est réel ou imaginaire selon votre désir» (extrait). On peut fantasmer sur «l’espace idéal», notion floue, abstraite. J’espère une réponse personnalisée, l’espace idéal tel que chacun l’envisage, avec lequel il a une relation de désir. La cafétéria est le lieu qui donne à voir les réponses pour échapper à la contingence de l’IUFM, à un lieu prégnant. Il y a un catalyseur, le dessin, la lettre, qui ouvre le cadre. Le super espace idéal sera constitué de la somme des réponses et des non-réponses qui recouvriront la définition idéale du dictionnaire marqué par la société des années cinquante. A partir des photographies du lieu, j’ai cherché si cette «maison Larousse» -qui me séduit depuis longtemps- pouvait servir de matrice, de support aux réponses des usagers. Pourquoi le Larousse de 1951 ? C’est un temps presque aboli, on ne dessine plus comme ça. C’est aussi la suite d’un travail qui utilisait des annonces publicitaires de «Maisons à Vendre».
Consommation : Le désir de départ, c’était de mettre en risque, en péril, la notion d’oeuvre avec un échange économique, avec de l’argent. En échange des réponses, les gens pourraient avoir une boisson, peut-être deux boissons, un droit de consommer pendant une semaine... Pour l’instant, c’est un aspect mis de côté pour des raisons de budget : si on échange une réponse contre un café, qui paye ?
Montage, rencontre : Au sens concret : monter sur l’échafaudage, monter les réponses, images en récit, récit écrit. C’est aussi la grille du tirage au sort pour répartir les réponses sur 500 cases possibles. Le coupé / collé d’un film, d’un texte, c'est monter des séquences d’images juxtaposées, prises dans le temps global du projet. C’est pour réagir contre des objets artistiques clos sur eux-mêmes, échangés entre galeries et marchands, que l’art s’est recentré sur la notion d’une oeuvre comme rencontre entre personnes. L’art qui utilise le support internet a pu reprendre quelques aspects de l’art sociologique. Avec 500 réponses, on pourrait créer un site internet. Comme artiste-auteur, je ne m’efface pas complètement bien que ce désir de m’évincer est bien présent. Dans le projet «Hôtel», j’avais l’impression de disparaître. Cela me plaisait... On peut aujourd’hui envisager trois stratégies pour obtenir d’autres réponses : rencontrer les gens sur place, échanger un café contre une réponse, un site web, trois modalités et strates pour un projet en évolution.Propos recueillis par M. D. Wicker, 14/09/99